Suite à l'ébauche de discours
Frida Sylvestre, 6 août 2025
Parce que si le Canada est un endroit où l'économie est déjà centrée sur l'exploitation des matières premières à destination des États-Unis, si la plupart des entreprises actives dans l'extraction sont soit américaines ou contrôlées par des intérêts américains, et si une écrasante proportion de nos importations provient déjà des États-Unis, comment se fait-il que le status quo ne satisfasse pas notre principal client et voisin ? Simplement parce que tout ça ne faisait pas partie des plans originaux, lesquels n'ont jamais vraiment tenu compte de la réalité.
Le Canada ne devait pas devenir un pays. Les États-Unis sont nés avec l'industrialisation, à un moment où nous n'étions qu'un Dominium soumis à l'Empire Britannique, une énorme forêt parsemée de lacs ne disposant d'aucune infrastructure autre que quelques liens navigables. Tout était encore à faire, tout restait à construire. Le Canada n'était alors qu'un immense embryon de potentiels et de possibilités. Et vous savez quoi ? À ce jour, le Canada est encore immense et déborde toujours de potentiel. Un pays mille fois plus riche que notre capacité à l'imaginer.
Sous le regard de nos puissants voisins, tout ce qui ne devait pas se produire est finalement arrivé. Pour financer notre édification, nous avons donné tout ce que nous croyions avoir : du bois, des hydrocarbures, des métaux, des minéraux, des végétaux, de l'eau et du sang, en plus d'offrir une carte postale et un lieu d'accueil à tous les peuples de la Terre. Ce n'est qu'à force de temps, d'efforts, de sacrifices et de relations courtoises que nous avons pu évoluer vers une sorte d'indépendance. Et aussi parce que nous avons réussi plus rapidement que certains ne l'imaginaient.
Ceux qui hors de nos frontières voulaient jadis nous annexer n'ont jamais détourné le regard. En deux cent cinquante ans d'histoire, ils ont gagné tout le pouvoir qu'ils espéraient, et plus encore, dix fois plus que nous. Toujours plus que nous, ils se sont tour à tour faits immigrants, pionniers, guerriers, esclavagistes, exploiteurs et envahisseurs. N'être que des clients n'était jamais un objectif pour eux. Ils devaient tout contrôler, jusqu'aux allées et venues, jusqu'aux relations, tel un amant maladivement jaloux et possessif. Or nous voici à la croisée des chemins. Cette relation, sous cette forme, a assez duré.
Bien évidemment, ces quelques deux cent cinquante années de voisinage et de métissage intensif nous auront valu bien des amitiés. Il s'en trouve beaucoup pour se désoler du sort qui nous est aujourd'hui réservé. Surtout ceux de qui nous étions clients, et qui ne comprennent pas comment les choses ont si abruptement changé. Ceux-là qui se désolent aujourd'hui de notre désertion nous oublieront bien assez tôt, tant les défis qui les guettent n'ont rien à envier à nos petites misères. Parce que l'érosion des droits chez nos voisins et amis s'emballe et s'accélère.
De grands bandits ont mit la main sur le monde, et celui-ci se retourne maintenant contre lui-même, contre ses populations, à travers une obscurité des plus oppressantes. Bien des gouvernements de partout font face à la désinformation et à de multiples tentatives d'influence, provenant de toutes sortes de directions. Nous entrons dans une ère chaotique. Un moment dans l'histoire où après plusieurs décennies d'une remarquable ouverture, certains on décidé que c'en était assez, que la mascarade du multilatéralisme et de la libre circulation des biens et des personnes avait assez duré.
Et pourtant le futur nous appartient encore, et le destin est toujours entre nos mains. Nous pouvons inventer notre propre sortie de crise. Nous pouvons transformer nos combats en victoires. Nous pouvons encore écrire la suite de nos histoires. De par la multitude de nos liens culturels, de par l'énorme richesse de nos terres et nations, de par nos racines entremêlées à l'infini, nous avons le devoir de vaincre nos peurs. Parce que les peurs ne sont que ça : de sottes idées à l’assaut de pouvoirs qui nous appartiennent. Or ces pouvoirs, nous devons nous en servir.
Il fût un temps pas très lointain où ce pays nageait dans l'abondance, où en cas de coup dur, tous pouvaient espérer le soutien d'un État prévenant. Cet État providence, toujours au service de ses citoyens, n'existe désormais plus que dans nos mémoires. Nos programmes sociaux se désagrègent, notre appareil gouvernemental ne répond plus, la faillite nous guette et le chaos est à nos portes. À compter de ce jour, cohérence devient le maître mot. À travers tous nos gestes, toutes nos décisions et toutes nos actions, nous avons un devoir de cohérence, d'inventivité et d'unité.
Ce qu'il nous reste à faire, nous devons le faire ensemble, soudés les uns aux unes aux autres. Nous devons le faire en tout respect de notre cheminement commun. Nous devons respect et loyauté à l'idée de notre liberté, aux pouvoirs qui sont les nôtres. Jamais dans notre histoire n'avons-nous été à la fois si près de l'éclatement et de la fusion de nos identités partagées. Jamais nous n'avons eu de choc si frontal et brutal qu'en l'espace de ces quelques huit derniers mois. Jamais une si grande remise en question ne nous aura été adressée. Je vous le demande, que ferons-nous : viserons-nous l'idéal des compétences partagées, ou valoriserons-nous l'exploitation ?